Cet article a été revu le 25juin 2012

La déshydratation en gériatrie Inédit

71 | (actualisé le ) par Michel

GÉNÉRALITÉS

Le constituant le plus abondant de l’organisme est l’eau.

On compte que l’eau représente 65% du poids total d’un adulte jeune, soit 45 litres en moyenne. La personne âgée est un peu plus sèche : elle ne compte que 55% environ de son poids en eau [1].

L’eau de l’organisme se répartit comme suit :
- Dans le sang : environ 5 litres.
- Dans le liquide qui baigne l’ensemble des tissus : environ 10 litres.
- Dans les cellules : environ 25 litres.

Ceci pose un premier problème : c’est par les prises de sang que nous étudions la composition en eau du corps. Mais le sang ne contient que 10% de l’eau totale. Cela veut dire que 90% de l’eau du corps ne peut pas être explorée directement.

Certains organes sont très riches en eau. C’est le cas par exemple du cerveau, qui contient plus de 95% d’eau. Cela veut dire que le cerveau est très sensible à la déshydratation.

RÉGULATION DE L’EAU

Parler de régulation de l’eau, c’est étudier les entrées et les sorties.

Les entrées d’eau se font par l’alimentation.

- Dans une alimentation normale les aliments apportent 1 l d’eau par jour [2].
- Les boissons représentent environ 1,5 l par jour.
- Il faut ajouter 0,5 l fabriqué par l’organisme à partir des aliments.

Les sorties d’eau se font par :
- La respiration : 0,5 l par jour.
- La sueur : 0,5 l par jour.
- Les selles : 0,2 l par jour.
Ces pertes sont obligatoires.

- Les urines : le reste, soit 1 à 2 l par jour.

C’est donc le rein qui est chargé de régler le bilan de l’eau : si les apports varient, ou si les pertes obligatoires varient, le rein adapte le volume urinaire en conséquence. Le rein est un éliminateur de déchets. Il a besoin d’eau pour cela mais il peut adapter la concentration de l’urine en fonction de l’eau disponible, même si ce système a ses limites.

L’eau a un poids :

- Si un sujet absorbe plus d’eau qu’il n’en élimine, il grossit.
- Si un sujet absorbe moins d’eau qu’il n’en élimine, il maigrit.

Quand on commence un régime amaigrissant, on se met à manger des salades, c’est-à-dire de l’eau. Si on mange 1 kg de salade, on grossit d’1 kg. C’est ce qui explique que souvent au début d’un régime amaigrissant on grossit. La différence, c’est que le rein va très vite éliminer l’excès d’eau, et qu’on va donc rapidement maigrir.

La "rétention d’eau" est un phénomène circulatoire et hormonal qui porte au maximum sur 2 ou 3 kg. C’est pourquoi il est illusoire de chercher à lutter contre cela quand on fait un régime : ce qu’on doit perdre c’est de la graisse et non de l’eau [3].

Le moyen le plus simple pour détecter une déshydratation est la pesée : il faut dans le meilleur des cas 5 à 6 jours pour perdre 1 kg de graisse. Un sujet qui perd 1 kg dans un journée n’a donc pas perdu 1 kg de graisse mais 1 kg d’eau ; Tout amaigrissement rapide est dû à une déshydratation.. La conduite à tenir est la même que celle utilisée en pédiatrie : quand un bébé a de la fièvre il faut le peser tous les jours. En pédiatrie toute perte de poids supérieure à 10% impose l’hospitalisation ; toute perte de poids supérieure à 20% est une urgence. En gériatrie il faut aller encore plus vite.

PARTICULARITÉS DU SUJET ÂGÉ

Le sujet âgé ne boit pas assez. Il y a à cela trois raisons :
- Le vieillissement affecte le cerveau, et le sujet âgé perd la sensation de soif.
- Les habitudes culturelles de ces personnes font que les femmes ne boivent pas.
- Beaucoup de personnes âgées redoutent l’incontinence urinaire, et refusent de boire pour essayer d’améliorer cette situation [4].

Le sujet âgé perd plus d’eau :
- Le rein âgé normal perd son aptitude à concentrer les urines : pour éliminer une même quantité de déchets, il consomme donc plus d’eau.
- De nombreuses maladies vont déclencher des fuites d’eau : diabète, insuffisance rénale...
- La régulation de la température est plus difficile, ce qui entraîne des pertes d’eau plus importantes au niveau de la peau. Le soignant doit garder à l’esprit une règle simple : quand j’ai chaud le vieux a très chaud ; quand j’ai froid il a très froid.

Six situations fréquemment rencontrées s’accompagnent de pertes d’eau parfois importantes :
- La fièvre.
- La diarrhée.
- Les vomissements.
- Le diabète.
- Les traitements diurétiques.
- La marche : un dément déambulant parcourt facilement 20 km par jour.

D’autre part le sujet âgé a moins de réserves d’eau que le sujet jeune. Une même perte d’eau est donc plus grave.

LES SIGNES DE LA DÉSHYDRATATION

Il n’y a pas de signe fiable de la déshydratation.
- 1. La soif : Quand elle existe, c’est un bon signe, mais le sujet âgé n’a pas soif.
- 2. Le volume urinaire : il est pratiquement impossible à mesurer chez le sujet âgé (incontinence...). Quand la bandelette urinaire montre des urines concentrées, c’est un signe assez fiable, mais le rein âgé ne sait plus concentrer les urines...
- 3. Le pli cutané : mais la moitié des personnes âgées normales ont un pli cutané.
- 4. La sécheresse de la bouche [5] : mais le plus souvent elle est liée à autre chose (mycose, nez bouché...).
- 5. Les troubles du comportement : ils doivent toujours y faire penser.
- 6. Les troubles circulatoires : hypotension, accélération du rythme cardiaque.
- 7. Le collapsus veineux : normalement, une veine gonflée de sang se dégonfle lorsqu’on l’élève 20 cm au-dessus du niveau du cœur. Si cette hauteur diminue, c’est que le volume sanguin a diminué. C’est un signe fiable mais difficile à observer.

Il ne reste donc que trois procédés :

1°) : L’étude du contexte : on craindra une déshydratation devant :
- 1. Une fièvre.
- 2. Des vomissements.
- 3. Une diarrhée.
- 4. Des fortes chaleurs.

2°) : L’étude des symptômes :
- 1. Tachycardie, hypotension.
- 2. Troubles du comportement.

3°) : La pesée systématique des sujets à risque.

LA STRATÉGIE DE PRÉVENTION

Elle repose sur quatre décisions :
- 1. Supprimer les pertes d’eau inutiles : toutes les prescriptions de diurétiques seront reconsidérées [6].
- 2. Stimuler les boissons. Mais il faut être exigeant sur l’objectif : dire qu’on va faire boire un litre d’eau signifie que le malade va boire 1 verre par heure de 11 h à 18 h [7] ; cela suppose qu’on ait les moyens, notamment en personnel, de le faire. Sinon on court le grave risque de croire qu’on a pris les bonnes décisions sans s’apercevoir que ces décisions sont mal (ou ne sont pas) appliquées.
- 3. Peser les sujets à risque : en période de canicule par exemple la pesée se fera deux fois par semaine, toute perte de plus de 2 kg en trois jours est une alerte.
- 4. Être attentif aux troubles du comportement : fatigue, agressivité, délire, perte d’appétit, etc.

Au moindre doute le soignant doit signaler la situation. Il doit exiger d’avoir reçu personnellement une réponse.

Un sujet âgé dont l’incontinence s’améliore ne s’améliore pas : en réalité il s’est déshydraté.

LA PRISE EN CHARGE

La déshydratation est une urgence. Quand on la découvre, il est toujours très tard.

Le traitement ne sera donc jamais de faire boire : si cela avait dû suffire, le malade ne se serait pas déshydraté. Un malade déshydraté doit être pris en charge médicalement.

Dès qu’une déshydratation est suspectée, le médecin doit être averti ; le malade est repesé. Une simple prise de sang (ionogramme + protides) permet de prouver la déshydratation et de calculer le déficit en eau.

Après, il y a trois situations.

La situation de rattrapage :

Elle s’utilise chez le patient qui commence à se déshydrater mais qui n’est pas en danger immédiat.

On utilise alors la voie sous-cutanée, car il faut économiser les veines des personnes âgées.

On perfuse de préférence la nuit pour que le malade puisse se lever dans la journée. L’aiguille est laissée en place tant qu’il n’y a pas de réaction locale. On perfuse du sérum glucosé simple [8]. Le liquide perfusé s’accumule sous la peau en créant un œdème parfois spectaculaire, ce qui n’a aucune importance : il se résorbera tout seul.
La voie sous-cutanée est en défaut :
- Quand la tension est trop basse (< 6), car le liquide sous-cutané ne va pas se résorber correctement.
- Quand le volume à perfuser dépasse 1,5 l/j, car l’organisme ne pourra résorber rapidement tout ce volume ; ce n’est pas dangereux mais cela ne sert à rien.

La situation de déshydratation :

Le traitement est là aussi la perfusion. En principe le volume à perfuser est égal :
- A la consommation d’eau du malade (1,5 l/j).
- Plus le volume estimé des pertes supplémentaires (s’il a de la fièvre, s’il vomit...).
- Plus ce qui est nécessaire pour compenser le déficit en 3 jours.
- Moins ce qu’il boit réellement.

Par exemple un sujet qui a perdu 3 l d’eau, qui a 39° de fièvre et qui boit encore 1 l par jour recevra :
- 1,5 l pour l’apport quotidien.
- 0,5 l par degré de fièvre, soit 1l.
- 1 l de rattrapage.
- Moins 1 l qu’il boit.

Il faudrait donc perfuser 2,5 l par jour pendant 3 jours. On utilise alors la voie intraveineuse. Mais cela suppose deux conditions :
- Que le sujet ait un capital veineux correct.
- Et surtout que l’on connaisse l’état cardiaque du malade, car il peut être dangereux de perfuser rapidement de grands volumes que le cœur n’a plus la force de pomper. En pratique c’est là la limite, surtout dans un établissement dépourvu de plateau technique.

La surveillance porte sur :
- L’amélioration des symptômes quand il y en avait.
- La reprise rapide du poids.
- Le volume urinaire quand on peut l’apprécier.
- La tolérance cardiaque, donc.
- Les ionogrammes répétés tous les trois jours.

La grande urgence :

Elle est représentée par exemple par le malade très déshydraté dont le capital veineux est épuisé. Alors le plus efficace est de poser une sonde gastrique par laquelle on pourra administrer rapidement 2 ou 3 litres d’eau du robinet, éventuellement additionnée de sel. Le risque d’intoxication par l’eau est théorique, le seul problème est que dans ce contexte il faut souvent imposer une contention ; mais en contrepartie il suffit souvent d’une seule nuit pour normaliser la situation...

Notes

[1Toutes ces données sont très approximatives : ce texte n’est pas une communication scientifique mais un aide-mémoire pour les soignants.

[2La soupe, les légumes, les laitages...

[3Et quiconque a déjà fait une vinaigrette sait que la graisse et l’eau ne se mélangent pas si aisément.

[4Ce que n’est guère efficace, car le rein fonctionne beaucoup la nuit.

[5Rappelons que cette sécheresse s’estime non en regardant la langue mais en observant et (si le malade l’accepte) en passant le doigt dans l’espace situé entre la gencive et la joue.

[6Ce qui ne veut pas dire qu’on va les supprimer.

[7Heureusement, les malades ne boivent jamais cela et ne se déshydratent pas pour autant : il y a un écart, difficile à comprendre, entre la théorie et la pratique.

[8Que perfuser ? On ne sait pas très bien. L’adjonction de chlorure de sodium au glucosé est souvent conseillée, mais il n’est pas si simple de savoir pourquoi ; d’autres perfusent plutôt du chlorure de sodium seul ; retenons que ce qui compte c’est d’apporter de l’eau.