Dérembourser les médicaments anti-Alzheimer

10 | par Michel

Récemment la presse s’est fait l’écho d’un projet visant à dérembourser totalement les médicaments utilisés pour lutter contre la maladie d’Alzheimer. La Ministre de la Santé a fait part de sa position : Interrogée sur RTL le 26 octobre 2016 elle indiquait : « Il n’y aura pas de déremboursement dans l’état actuel des choses ». Même si la mesure a été recommandée par un comité de la Haute autorité de Santé, la ministre explique qu’elle veut d’abord que soit mis en place « un protocole de soins ». « Tant que ce protocole de soin ne sera pas non seulement élaboré, mais mis en œuvre, la question du déremboursement ne peut pas et ne doit pas se poser », a assuré la ministre de la Santé.

Que penser de cette question ? Au risque de surprendre, je dirai que ce débat m’agace un peu beaucoup.

Les médicaments anti-Alzheimer marchent mal. Ce n’est pas un scoop, on le sait depuis le début. Et force est de constater que pour une fois les laboratoires pharmaceutiques ont été plutôt honnêtes dans leurs présentations ; oh, ne soyons pas dupes : s’ils ont été honnêtes c’est largement parce qu’ils n’avaient pas spécialement besoin de ne pas l’être. Mais enfin ils ont été honnêtes et aidants.

Ils ont des effets indésirables. Là, je me méfie déjà un peu plus : personnellement je n’ai jamais vu un seul cas où ces effets indésirables soient réellement problématiques. Et je garde une grande circonspection devant cet argument, qui me rappelle trop l’usage qui en a été fait, pour le coup par les labos : cela a surtout servi à déconsidérer des médicaments qui n’étaient pas assez chers et à nous en imposer d’autres en décuplant leur prix. Pour ne citer qu’un exemple, parmi les neuroleptiques la rispéridone est proposée essentiellement parce qu’elle est mieux tolérée que l’halopéridol ; c’est exact, mais il n’est pas moins exact que le prix de la première est vingt fois plus élevé que celui du second (encore ce différentiel a-t-il été réduit).

Ici ce qu’on nous dit c’est que les médicaments ne marchent pas et sont toxiques ; normalement on doit voir venir ensuite une tirade sur les lobbies pharmaceutiques et la collusion du pouvoir. Bingo.

Pourtant ce simple montage argumentatif doit nous mettre en alerte, comme chaque fois qu’on nous vend des simplismes ; surtout quand c’est fait avec un despotisme auprès duquel le Syllabus semble faire dans la nuance. C’est ainsi que si je dis que le nucléaire n’a pas que des inconvénients, ou qu’il faut discuter les OGM au cas par cas, ou que… je vais obligatoirement me retrouvé habillé pour l’hiver.

Bon. Les médicaments anti-Alzheimer marchent mal, et le plus souvent pas du tout. Mais ce qu’on nous dit c’est que toutes les études rapportent qu’ils n’ont pas d’efficacité. Soit. La moindre des précautions est de se méfier quand on nous dit ça : Toutes les études, c’est de la forme de tout le monde sait ; et il n’est pas difficile de voir que quand on dit que tout le monde sait c’est surtout qu’on ne sait pas qui est ce tout le monde, et qu’on ne s’est pas trop donné la peine de vérifier. L’argument du tout le monde sait est surtout employé dans les discours populistes, et il arrive qu’il ait des conséquences, y compris électorales.

Qu’en est-il ? Je ne sais pas ce que donnent les études récentes, mais on disait voici quelques années qu’ils améliorent 30 % des malades de 30 % pendant environ 30 mois (même si cela me semble beaucoup, je diviserais volontiers tous ces chiffres par deux).

Le problème est que j’ai vu des cas où j’ai eu le sentiment qu’ils marchaient, et parfois de manière spectaculaire, non seulement sur les troubles cognitifs mais plus encore sur certains troubles du comportement. Je dis bien : le sentiment. L’évaluation d’une efficacité dans la maladie d’Alzheimer n’est pas évidente, notamment les tests ne mesurent que ce que mesurent les tests, et il y a nécessairement une part de subjectivité, les exemples en médecine sont légion. Je suis donc prêt à admettre que je me trompe ; j’attends seulement qu’on me le prouve.

Et que sur le plan pharmaceutique nous n’avons rien d’autre. Or il faut rappeler que la démence de type Alzheimer est une maladie grave, contre laquelle il est légitime de jouer toutes les cartes. A titre de comparaison je connais plus d’un anticancéreux dont les taux de réponse sont nettement plus faibles ; je n’ai jamais entendu dire qu’il fallait les sortir de l’arsenal thérapeutique.

Ce qu’on paie ici c’est à mon sens d’avoir inconsidérément étendu le champ diagnostique de la maladie d’Alzheimer.

Rappelons les faits. Au départ il y avait la démence sénile. Mais voici qu’Alzheimer découvre des cas de démence sénile survenant chez le sujet jeune. La maladie d’Alzheimer c’est une démence sénile du sujet jeune ; quand on me dit que mon père à 85 ans avait une maladie d’Alzheimer on me dit qu’il avait une démence sénile du sujet jeune chez le vieux. Eh bien, même si je conviens que les lésions cérébrales qu’on observent ne dépendent pas de l’âge, même si je conviens que les symptômes sont largement identiques, il reste un peu de travail pour me persuader que c’est le même mécanisme qui a flingué le cerveau de mon pote de 50 ans et qui a fait que vers la fin mon père perdait un peu les oies. Raison pour laquelle chez le sujet âgé je m’obstine à parler, non de maladie d’Alzheimer mais de démence de type Alzheimer.

Il est très surprenant de voir à quel point on a banalisé la maladie d’Alzheimer. Sous prétexte sans doute qu’on commence à prendre la mesure de sa fréquence, on en viendrait presque à nous raconter qu’après tout ce n’est pas si grave, et qu’il n’y a pas lieu d’utiliser toutes les armes dont nous disposons… Comme si, du fait qu’elle est banale, elle cessait d’être une horreur… Mourir, c’est banal.

Mon intuition (car ce n’est qu’une intuition) c’est qu’à fabriquer ce grand sac qu’on appelle maladie d’Alzheimer, et qui a l’avantage de satisfaire aux exigences du politically correct, on ne fait pas l’effort de distinguer des catégories de malades. Je ne sais pas les distinguer non plus, mais je sais (ou je crois, parce que j’ai un peu trop traîné dans le métier pour ignorer le nombre de certitudes qui s’y sont effondrées) qu’il semble y avoir quelques patients répondeurs au sein d’une masse de non-répondeurs ; et que cela pourrait correspondre à des formes particulières de la maladie ; et je me dis que si on cherchait bien on pourrait mettre en place des tests prédictifs permettant de détecter les répondeurs potentiels. Ai-je raison ? Je n’en sais rien. Mais je sais qu’on ne se pose pas la question.

Du coup je préconise une attitude équilibrée.

Quand on fait le diagnostic, et si la maladie est débutante ou peu avancée, il est éthiquement inacceptable de ne pas traiter. On doit faire l’essai, mettons quatre mois. Passé ce délai, de deux choses l’une : ou on a un effet, ou on n’en a pas. Si on n’en a pas on arrête, tout simplement. Si on en a un, on continue tant que l’effet le justifie.

Cette attitude n’est pas la mienne : c’est celle qui a toujours été préconisée. Je sais bien que les laboratoires, sur ce point (il faut bien vivre), ont tenu un langage plus ambigu, prétendant que oui mais même en l’absence d’amélioration peut-être le traitement permet-il de ralentir l’évolution. Seuls les imbéciles s’y sont laissé prendre. Il y a beaucoup d’imbéciles, d’où ces traitements maintenus des années contre tout bon sens, ou initiés chez des malades qui depuis belle lurette n’ont plus aucune capacité cognitive.

C’est pourquoi il faut critiquer le communiqué de France-Alzheimer. On y lit en effet : Les prescripteurs de médicaments ont recours à ces derniers dans un cadre très réglementé. Au-delà du diagnostic qu’ils posent, chacun veille à respecter scrupuleusement les recommandations de la HAS en matière de prescription médicamenteuse et de suivi de traitement. Franchement ce n’est pas ce qu’on observe en pratique, et dans leur majorité ces prescriptions ne respectent nullement les recommandations classiques.

Si on fait comme je faisais, on divise la facture par 10. Et pour ma part je trouve inacceptable que ces médicaments soient remboursés à 15 %: il faut les rembourser à 100 %, avec pour contrepartie une surveillance impitoyable des conditions de prescription. Le taux de remboursement actuel n’a aucun sens : c’est 100 % ou 0 % ; si on fait autre chose on se comporte comme ces juges qui, on le voit souvent, n’étant pas sûrs de la culpabilité de l’accusé, croient s’en tirer avec deux ans-sursis.

Derrière cette hargne contre les traitements, il y a au moins deux choses.

La première est le constat que pour beaucoup de médecins qui les prescrivent la mission s’arrête à l’ordonnance, alors qu’on sait parfaitement que la prise en charge est infiniment plus complexe et impliquante ; notamment il faut des moyens humains, bon, je passe, c’est suffisamment connu. C’est à cette prise en charge complexe que la Ministre fait allusion quand elle dit qu’elle veut d’abord que soit mis en place « un protocole de soins ». Mais il faut distinguer le fait que les médecins ne font pas leur travail et le fait que c’est coûteux : un traitement anti-Alzheimer c’est une cinquantaine d’euros par mois ; c’est dérisoire en regard des moyens qu’il faudrait engager pour la prise en charge non-médicamenteuse, qui est pourtant l’enjeu essentiel. Et sur ce point le communiqué de France-Alzheimer commet une autre erreur en reprenant un argument, particulièrement stupide : Sans aucun traitement médicamenteux spécifique, l’intérêt du diagnostic, aux yeux des familles et de certains professionnels de santé, pourrait apparaitre secondaire. Le parcours diagnostique serait alors moins balisé pour le public alors que qu’il est la clé de voûte d’une prise en soin adaptée et efficace. C’est stupide pour deux raisons :
- La première est que si un médicament n’est pas efficace, il ne faut pas le donner ; et si ce sont des soins non-médicamenteux qu’il faut mettre en place, c’est cela qu’il faut mettre en place, et cela suffira largement à maintenir l’intérêt du diagnostic, et à justifier le parcours. France-Alzheimer ne s’avise pas qu’en maniant cet argument elle accrédite l’idée que les approches non-médicamenteuses ne sont tout de même pas de vrais traitements, alors que tout s’y joue.
- La seconde est que l’enjeu essentiel est au contraire d’organiser le diagnostic très précoce de la maladie, parce que c’est là sans doute que les traitements ont leur maximum d’efficacité.
Bref, toute la question, depuis le début, est simplement dans ce point : l’efficacité des médicaments anti-Alzheimer n’est pas aussi nulle qu’on veut maintenant le prétendre.

La seconde c’est que si le comportement des prescripteurs échappe à toute raison celui des détracteurs y échappe tout autant. C’est comme ça chaque fois qu’on parle de maladie d’Alzheimer, et je maintiens le plus sérieusement du monde que cette maladie a quelque chose de contagieux. Avec cette circonstance aggravante qu’à force de la mettre à toutes les sauces on a fini par la banaliser, et même à la lénifier.

Ce dogmatisme est lié au fait que pour beaucoup (et j’en suis) le véritable enjeu de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer n’est pas dans le traitement médicamenteux mais dans une prise en charge globale, psychologique, cognitive, rééducative, sociale, etc. Il faut inlassablement rappeler cette évidence. Mais ce qu’on voit dans cette discussion c’est un simple règlement de comptes. Il n’y a pas si longtemps des neurologues universitaires voulaient nous faire croire que la maladie d’Alzheimer allait presque pouvoir se diagnostiquer sur une IRM, qu’il y avait des tests pointus, bref que c’était une affaire de grands, dans laquelle les piétaillons de médecins de base, gériatres ou généralistes, n’avaient qu’à appliquer les consignes. Alors que ces derniers sont les meilleurs connaisseurs de la vraie maladie dans la vraie vie. La volonté d’éliminer ces médicaments correspond à la révolte des sans-grade, sur le thème du on vous l’avait bien dit.

Mais aucune de ces attitudes n’a de sens. Certes les recherches des neurologues universitaires n’ont pas tenu leurs promesses. J’espère bien pour ma part qu’ils vont les poursuivre, ne serait-ce que pour régler cette question de la détection des sujets répondeurs. Mais les malades, eux, ont besoin d’autre chose que de ces batailles de chiffonniers.