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En réponse à :

La confusion mentale

, par Michel

Bonsoir, Nicole, et merci de votre message.

Mais que vous répondre ?

Je pourrais vous dire tout simplement que je n’en sais rien : pour avoir un avis il faudrait avoir été là, présent, observant la situation. Il serait irresponsable de parler d’un cas qu’on n’a pas vu.

Je pourrais, vous ayant rappelé cette évidence, essayer de vous donner un point de vue théorique.
- Par exemple je pourrais vous dire qu’un état confusionnel peut tout à fait entraîner ce type de décision plus ou moins intempestive. Mais j’ajouterais aussitôt que ce même état confusionnel n’est guère compatible avec la réalisation d’un projet aussi élaboré qu’un voyage en Belgique.
- Je pourrais vous dire aussi que ce n’est pas là quelque chose d’exceptionnel : il arrive souvent en fin de vie que les patients aient le besoin irrépressible de régler de mystérieux problèmes, de se rapprocher de certaines personnes, de s’éloigner d’autres.
- Je pourrais vous dire aussi que souvent les malades en fin de vie mettent en place des stratégies destinées à protéger leurs proches.
- Je pourrais, mais je sais que vous y avez pensé, vous rappeler que la législation sur la fin de vie n’est pas la même en Belgique et en France.

Bref je vous dirais que le comportement des patients qui voient la mort s’approcher obéit souvent à une rationalité qui nous échappe.

Mais vous me répondriez : "Tout ça je le sais ; mais la manière dont il a procédé, partant sans rien me dire, sans me laisser le temps de me préparer, cela est d’une violence que je ne comprends pas, que je ne supporte pas". J’ai bien compris, Nicole.

Alors je vous dirai plutôt que la mort est une violence. C’est une violence qui fait éclater de nombreuses structures. Sous cet impact il y a des malades qui réagissent de manière irrationnelle, comme s’ils voulaient entraîner ceux qu’ils aiment dans cette violence. En somme ils préfèrent tuer la relation avant qu’elle leur échappe. Mais il arrive aussi qu’ils ne puissent supporter cette violence qu’en devenant violents à leur tour, par exemple en réglant de comptes qui n’existent pas. En étant injustes : une manière de maîtriser la mort est de tuer.

Je vous dirai aussi que la mort est une séparation. Dans la mort il y a deux choses : il y a moi qui perds la vie, et il y a vous qui me perdez. La mort de moi ne ressemble en rien à ce qui vous arrive quand vous me perdez, à telle enseigne qu’en me voyant mourir vous n’apprenez rien sur ce que cela vous fera quand vous mourrez ; ces deux événements n’ont pas de rapport c’est autant dire par hasard qu’ils se produisent en même temps. Ma mort n’est pas ma mort, c’est notre séparation. Voir mourir l’autre, c’est avant tout accepter qu’il s’en aille et ne pas savoir où il va. Je suis prêt à la mort de l’autre quand je suis arrivé à me dire que je ne sais plus rien, que je ne comprends plus rien, qu’il va son chemin, qu’il est seul et que je l’accepte.

C’est cela qui vous est arrivé, et cela vous est arrivé d’une manière terrible. Je ne sais pas pourquoi il a fait ce qu’il a fait, je sais seulement que vous le vivez très durement. Vous vous étiez préparée à respecter la liberté, il se trouve qu’il l’a exercée, cette liberté, avec une brutalité inattendue et incompréhensible. Mais c’était sa liberté.

Avez-vous des relations avec sa famille ?

Bref, quand vous demandez : A-t-il pris cette décision dans un état pas cohérent ?, j’ai envie de vous répondre que la mort n’est pas un événement cohérent ; c’est au contraire un événement qui fait éclater toutes les cohérences, c’est un événement que nous ne savons pas penser. La cohérence de la mort, c’est quelle n’en a pas. Vous lui avez donné le meilleur de vous-même, il vous reste à parfaire ce don de vous en acceptant l’idée que, justement, vous avez créé les conditions pour qu’il aille son chemin. Il a décidé que la fin de ce chemin se passait sans vous, la dernière chose à chercher est une justice.

Mais je sais combien c’est dur. permettez-moi de penser à vous.

Bien à vous,

M.C.

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