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En réponse à :

Le sentiment de culpabilité

, par Michel

Bonjour, Laure.

Vous avez raison de pointer cette difficulté.

Je me suis beaucoup servi d’une image : celle de « la belle sœur de Mulhouse ».

Précisons tout d’abord que je ne nourris aucune rancœur injustifiée contre mes belles-sœurs, et que je garde de ma visite de Mulhouse un excellent souvenir ; je passe sur le tout ce qu’il y aurait à dire du beau-frère de Mulhouse.

Mais cela dit, la belle-sœur de Mulhouse, tout le monde la connaît dans les unités de soins palliatifs. C’est celle qu’on n’a pas vue durant toute l’évolution, et qui arrive comme une furie à trois jours du décès en clamant que le malade a été très mal soigné, qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait, mais que maintenant qu’elle était arrivée on allait voir ce qu’on allait voir. En deux heures elle réussit à détricoter tout ce qu’on avait patiemment réussi à mettre en place, elle a porté plainte à l’Agence Régionale de Santé (et au Ministère pour plus de sécurité), et elle a remué ciel et terre pour qu’on transfère le patient chez un grand professeur dont elle a entendu parler à la télé et qui va le sortir de là. Après quoi, ayant bien tout saccagé, elle repart le plus souvent comme elle était venue.

Je le répète, tout professionnel a sa liste, plus ou moins longue, de belles sœurs de Mulhouse. Et c’est une calamité.

Mais de quoi s’agit-il ?

Je crois que beaucoup de ces comportements servent à gérer la culpabilité. Les excités, cela existe ; les egos pas rassurés d’eux-mêmes, tout autant. De la même façon dans les maisons de retraite il y a des familles revendicatives, et parmi ces familles il y a des gens imbuvables, des profiteurs, des égoïstes. Mais il y a bien davantage des gens qui souffrent, et qui le disent comme ils peuvent.

Ce qui arrive à la belle-sœur de Mulhouse, c’est qu’elle habite Mulhouse. Et qu’elle ne pouvait pas assumer sa part de la prise en charge. Mais évidemment elle aurait pu en assumer un peu plus qu’elle n’a fait, d’ailleurs on peut toujours. Et de toute manière elle est en deuil, et ce deuil engendre une culpabilité dont le meilleur moyen de la gérer est de se mettre en colère (on retrouve ici un autre personnage célèbre, la Pomponnette). Elle n’a pas fait assez d’efforts pour venir, parce que sur ce point nous sommes tous pareils. Elle ne s’est pas tenue au courant, et elle n’a pas pris conscience (ça l’arrangeait bien) de la gravité de la situation. Bref elle est très mal. Et je crois que les catastrophes qu’elle déclenche, son pouvoir de déstructuration, lui servent à atténuer le chagrin du deuil, en lui permettant de ne pas se confronter à la réalité. Il en va de même de ces disputes sordides autour de l’héritage, qui démarrent parfois devant le cercueil (ou de ces batailles de chiffonniers lors des divorces) : des requins, des rapiats, j’en ai vu. Mais j’ai surtout vu des situations où cela permettait de supporter la peine.

Et puis la belle-sœur de Mulhouse contribue à dramatiser la situation, ce qui est sans doute une bonne chose (ou le serait si elle ne faisait pas autant de dégâts). Elle détruit tout, et cette destruction correspond à l’effondrement du Walhalla ; effondrement nécessaire car vous ne voudriez tout de même pas que quelque chose subsiste après la disparition de l’être cher.

On oublie cette nécessité de faire du bruit. On oublie combien il n’est pas normal qu’une chose aussi terrible que le décès de qui on aime se passe sans soubresauts. Quoi ? Cette horreur qu’est la mort, se dérouler sans bruit et sans fureur ? Dans l’état de détresse où je suis, supporter que la mort soit paisible ? Ce n’est pas si simple.

Il ne faut probablement pas chercher ailleurs la raison pour laquelle il y a autant de décès aux Urgences. Parmi les malades qui y décèdent il y en a une solide quantité pour qui l’envoi aux Urgences est une décision totalement irrationnelle : ils vont vers leur fin, tout le monde le sait, et tout se passe parfaitement bien, il suffit de les laisser à la maison. Mais à l’article de la mort tout le monde panique. Il y a à cela de fort bonnes raisons : notamment le médecin de famille, dont la fonction de réassurance est irremplaçable, ne se déplace plus la nuit ; alors, vous pensez, pour une agonie… Mais le résultat c’est que le décès aux Urgences, dans les conditions souvent apocalyptiques qui sont les siennes, permet de réinstiller un peu de drame dans un mourir qui en manquait. Cela tient lieu des hurlements que de nos jours on s’interdit. Et si on m’écoutait (mais je vous rassure : personne ne m’écoute) on aménagerait certes les services d’urgences pour disposer de lieux un peu moins catastrophiques pour gérer les agonies, mais on n’en ferait pas trop, et surtout on cesserait de culpabiliser quand une prise en charge amoureusement mitonnée se termine aux Urgences dans une inopinée queue de poisson. Ça a sa fonction.

Tiens, si j’en faisais un article ?

Bien à vous,

M.C.

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