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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonjour, Guillaume.

Je comprends bien ce que vous pouvez ressentir. C’est sans doute ce que je ressentirais moi-même face à une telle situation.

Commençons par le plus terrible : vous vous demandez combien de temps cela peut durer. Derrière cette question il y a l’effroi, le chagrin, mais il y a aussi la lassitude : oui, il serait bon que cela se termine. Ce serait bon pour votre mère, car on se demande quel sens cela peut avoir de continuer ainsi ; mais ce serait bon pour tout le monde. C’est une souffrance que de s’avouer un tel sentiment : qui pourrait sans honte souhaiter la mort d’un être cher ?

La réponse est : tout le monde. Tout le monde dans une telle situation souhaite qu’on en finisse. Je ne connais pas de famille qui n’en soit pas, sous des formes plus ou moins claires, plus ou moins diverses, plus ou moins étranges, passée par là. Quand on se met à penser cela on n’est pas un monstre, on ne fait qu’éprouver un sentiment universel, qui fait partie du deuil normal. Faire un deuil c’est accepter que l’autre s’en aille, c’est y consentir, c’est se rendre à l’évidence que le moment est venu où les choses doivent s’accomplir. Ajoutons qu’en fin de vie (mais sommes-nous en fin de vie ?) quand ce sentiment émerge, quand la famille demande « si cela va durer encore longtemps », c’est l’indice quasi infaillible que, précisément, cela ne va pas durer longtemps.

C’est seulement quand on est en paix avec ce sentiment qu’on peut aborder froidement la question posée.

Nous avons affaire à une vieille dame qui présente une démence profonde et qui n’a plus guère de communication. J’ai eu suffisamment d’expériences de cas où, quand on creusait, on s’apercevait que la présence au monde de tels malades était bien plus réelle qu’on ne pouvait le penser. Mais pour le mettre en évidence il faut des techniques particulières (avec sa « philosophie de l’humanitude » l’ami Yves Gineste aboutit volontiers à des résultats étonnants), et tout de même cela ne va pas très loin et ne change guère le fond du débat. Par contre cela pose la question de savoir si ce qu’elle vit est confortable ou ne l’est pas. Et si nous n’avons pas de moyen direct de répondre à cette question, il y a des moyens indirects, et le plus souvent nous sommes en droit de conclure que la vie qu’elle mène est somme toute confortable. La difficulté ici est de faire la différence entre ce que vous voyez, qui est atroce, et ce qu’elle vit, qui ne l’est pas ; or si nous voulons être droits il nous faut oublier ce que nous ressentons pour ne considérer que ce qu’elle ressent. Bref nous n’avons pas vraiment de raison pour considérer que ce qu’elle vit ne vaut pas la peine d’être vécu.

On n’en serait pas là si nous pouvions nous prononcer sur ce qu’elle veut. C’est tout l’intérêt des directives anticipées, même s’il faut être conscient des limites de cet exercice ; et c’est pourquoi j’ai écrit dans les miennes : il y aurait lieu de considérer la situation comme palliative si je me trouvais dans un état grabataire, ou si l’altération de mes fonctions cognitives imposait que je sois admis en maison de retraite. Autrement dit je veux que si une telle chose m’arrive on arrête les traitements.

Pour votre mère, cela pose la question de l’acharnement thérapeutique.

Elle est nourrie artificiellement. Sur le plan pratique cela pose-t-il problème ?
- L’alimentation artificielle est-elle confortable ? C’est possible. En tout cas vous n’en rapportez pas de signes d’inconfort.
- Cette alimentation est-elle efficace ? Cela se peut aussi. Certes, comme vous le constatez, elle ne suffit pas, puisque la malade maigrit. Mais cela peut ralentir suffisamment l’évolution pour qu’on puisse la considérer comme atteignant au moins partiellement son but.
- Par contre, ce que nous disons en la maintenant, c’est que nous voulons que la situation dure.

Et c’est là que le problème devient compliqué : voulons-nous que la situation dure ? Pourquoi le voulons-nous ? Et réciproquement, voulons-nous qu’elle ne dure pas ? Pourquoi le voulons-nous ? Ce qui est certain c’est qu’en maintenant cette alimentation nous imposons à la malade de vivre ; mais en l’abandonnant nous lui imposerions de ne pas vivre. De toute manière c’est nous qui décidons, et nous n’avons aucun moyen de préserver la liberté de la malade. Nous sommes dans l’indécidable, et notre seule ressource est dans la pureté de nos intentions.

Je pourrais décider pour moi ; mais ici il s’agit de décider pour votre mère. Et je ne serais pas choqué qu’on dise : nous n’avons pas à poser des actes positifs pour qu’elle vive, arrêtons l’alimentation. Je ne serais pas choqué qu’on dise : en l’absence de signes d’inconfort, si l’alimentation permet de gagner un mois, un mois de la vie d’un autre c’est bon à prendre. Et je ne serais pas choqué qu’on dise : faute de raison de choisir l’un plutôt que l’autre, et sans conférer à la vie un quelconque caractère sacré, le soignant est du côté de la vie, ce qui suffit à faire pencher la balance.

Il ne s’agit pas d’une agonie. Comme je l’ai écrit le terme d’agonie ne s’applique qu’à cette période particulière de la fin de vie qui précède immédiatement le décès. C’est le moment où toutes les fonctions vitales tombent en panne, et par définition une situation qui dure, mettons plus d’un jour et demi, n’est pas une agonie. On peut s’y tromper, puisque la preuve est toujours rétrospective : c’est quand le malade est mort qu’on est sûr ; mais ici, non : c’est « seulement » (!) une fin de vie interminable.

Que faire alors ? Deux choses.

La première est de faire le tri dans vos sentiments ; de les accepter sans crainte, car ils sont normaux ; et de trouver un espace où vous pouvez départager ce que vous éprouvez et ce que votre mère éprouve.

La seconde est de vérifier auprès de l’équipe soignante qu’elle s’est posé la question du sens de ce qu’elle fait.

Bien à vous,

M.C.

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