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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Estelle.

Ce que vous êtes en train de vivre est très difficile. Et je sens d’avance que mes réponses vont être bien pauvres.

Mais que faire ? Que dire ? C’est parce que vous êtes en enfer que la seule chose qu’on puisse faire pour vous est probablement de vous donner quelques repères auxquels vous cramponner. C’est parce que le ressenti envahit tout qu’il est si indispensable de raisonner.

Il y a deux problèmes essentiels, qu’il faut tenir soigneusement distincts ; c’est parce qu’il est très difficile de les distinguer qu’il est crucial de le faire ; et que les professionnels, parce qu’ils ne sont pas impliqués de la même manière, sont d’un si précieux secours.

Le premier problème est la souffrance de la malade. S’il est une chose évidente, c’est qu’en aucun cas on ne doit tolérer qu’une dame de 102 ans atteinte d’une démence de type Alzheimer évoluée souffre de quelque manière que ce soit. La situation étant ce qu’elle est (et rien dans votre mail ne me laisse supposer que les soignants comptent la guérir de l’état où elle est), il est impératif :
- De supprimer des traitements tout ce qui pourrait servir à prolonger sa vie.
- D’utiliser tous les moyens nécessaires pour calmer les symptômes inconfortables. Non seulement cela peut se faire sans utiliser des produits posant un problème de toxicité, mais s’il fallait en utiliser, et à condition de s’imposer toutes les précautions adéquates, on aurait l’obligation éthique de le faire. Je lis qu’on lui donne de la morphine, c’est une excellente décision, mais il faut être sûr que les doses sont suffisantes, et si elles ne le sont pas on peut les augmenter sans aucun état d’âme.
- Et si les inconforts ne sont pas maîtrisables par ces moyens (c’est rare mais cela se produit) alors il faudrait envisager de l’endormir ; cela non plus, pour peu qu’on sache y faire, ne présente pas de toxicité particulière.

Évidemment, tout est là : il ne sert à rien d’envisager quelque discussion que ce soit si la malade n’est pas correctement calmée.

Mais le second problème est celui de votre souffrance. Et votre souffrance, je la connais, le l’ai tellement côtoyée. Je sais ce qu’elle a de poignant. Et il faut vous aider. C’est aussi le travail de l’équipe soignante.

Mais voilà.

Cette souffrance vous met en difficulté pour évaluer celle de la malade. On accuse souvent les professionnels de dureté de cœur parce qu’ils semblent sous-estimer la souffrance des malades. Je ne suis pas naïf : cela se produit, et la proportion d’imbéciles est la même dans mon métier que dans n’importe quel autre. Mais il faut dire et redire que la souffrance s’évalue, qu’elle se mesure, que c’est un métier et que les professionnels correctement formés savent le faire. Et qu’il est important de le faire de manière la plus objective : c’est notre devoir envers le malade. Et il est possible que, même si elle vous paraît agitée ou crispée, votre grand-mère soit en fait correctement calmée. Je dis cela avec hésitation car je sais combien cela tient à la qualité de l’équipe ; et parce que je n’ai pas vu la situation ; mais je n’ai pas le choix : si les soins sont mal faits, si le confort n’est pas assuré, alors ce que je dis ne sert à rien.

D’autre part nous sommes obligés de tenir ferme un point : votre souffrance doit être prise en charge, et il est indispensable de vous aider ; on le peut, même si on ne le peut pas autant qu’on le voudrait. Mais rien ne permettrait de justifier que pour apaiser votre souffrance on pratique sur votre grand-mère un geste dont elle n’a pas besoin. Si on s’en est donné les moyens elle est en paix ; si on ne l’a pas fait il faut le faire. Mais il n’est pas possible de faire plus, je ne peux pas vous donner un médicament dont vous n’avez pas besoin au motif que quelqu’un d’autre aurait besoin que vous le preniez.

C’est un problème essentiel et fréquent : le dément qu est dans la maison de retraite et qui passe ses journées à déambuler et à ouvrir toutes les chambres dérange tout le monde. La solution la plus simple est de lui donner un traitement qui le fasse se tenir tranquille. Mais si ce traitement aurait l’avantage d’assurer la paix de l’entourage, il aurait l’inconvénient que le malade, lui, n’en a nullement besoin. De quel droit le lui donnerions-nous ? En pratique on sort de cette impasse en considérant que le malade a besoin de rester dans cette maison de retraite, et que cela implique qu’il soit acceptable par le groupe ; mais convenez qu’on n’est pas à l’aise.

Donc la situation est celle-ci. Vous traversez une période terrible ; et le spectacle auquel vous êtes confrontée est très douloureux. Mais qu’en est-il pour votre grand-mère ? J’y reviens : si on lui donne un traitement, ce doit être pour assurer son confort, et rien d’autre.

Or qu’avons-nous ?
- Elle meurt, mais on ne sait pas de quoi. Si j’en savais plus sur la cause, je pourrais présumer plus facilement si c’est une fin de vie confortable ou non. Tout ce qu’il me semble c’est que cette évolution est récente : si elle était depuis longtemps sur une trajectoire de fin de vie personne n’aurait pensé à faire quelque chose sur ses rétractions tendineuses.
- Cela dit, elle est proche de la fin, à cause de la dénutrition et des escarres.
- Il se pourrait qu’elle soit sous-dosée en morphine : dans un tel contexte je préférerais qu’elle ne grimace plus du tout, même si cela implique qu’on la surdose légèrement (mais je sais bien qu’il est parfois difficile d’obtenir un équilibre satisfaisant, ce qui pousse à considérer l’éventualité de l’endormir : tout dépend de l’idée qu’on se fait de son niveau de souffrance et du temps qui reste).
- La douleur liée aux escarres se maîtrise assez facilement, si du moins on prend la précaution de ne pas être inutilement agressif au niveau des pansements.
- La dénutrition n’a aucune raison d’être pour elle une source de souffrance.

Donc il y a probablement des moyens assez simples d’aboutir à une situation paisible. Mais hélas, par "situation paisible" j’entends une situation paisible pour elle. Pour vous c’est une autre affaire, et la seule consolation que je puisse vous offrir est que j’ai du mal à imaginer que les choses pourraient durer encore longtemps.

Bien à vous,

M.C.

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