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La loi Claeys-Léonetti et deux réflexions...

, par Michel

(suite)

J’en viens maintenant à vos deux réflexions.

Ma première réflexion est que l’affirmation selon laquelle toutes les souffrances peuvent aujourd’hui être maîtrisées est fausse : la lecture des forums de malades, les échanges en privé avec des malades du cancer en phase terminale me montrent tous les jours des gens qui souffrent le martyre (pourtant soignés dans des grands centres genre IGR Gustave Roissy ou Institut Curie, en pointe en matière de lutte contre la douleur). De deux choses l’une : soit certaines souffrances résistent encore malgré l’arsenal actuel, soit certains de vos confrères manquent cruellement d’écoute et d’empathie.

Non, cette affirmation n’est pas fausse. Toutes les souffrances peuvent aujourd’hui être maîtrisées. Et la raison en est très simple : la sédation utilise des techniques d’anesthésie générale. Je ne connais personne qui conteste l’efficacité des anesthésies générales.

Ensuite, c’est là que les problèmes commencent, et ils sont de trois ordres.

Le premier est qu’il faut savoir manier les produits. Et j’ai vite compris que, même dans les unités de soins palliatifs, il y a des lacunes, des approximations, des méconnaissances. La formation à ces techniques reste un enjeu crucial, et j’ai vu au cours de mon activité que non seulement on pratiquait dans l’ensemble trop de sédations mais encore qu’on n’était pas toujours pertinent dans la profondeur de ces sédations, par excès comme par défaut.

Le second est que, précisément, le prix à payer pour cette sédation c’est la sédation. Et qu’on répugne toujours (et toujours à bon droit) à faire perdre au malade sa vie de relation. C’est pourquoi il y a des discussions, des compromis, des imperfections, des erreurs. Et la question se pose de manière encore plus évidente :
- Quand la souffrance peut être maîtrisée sans sédation mais que cela demande du temps.
- Quand, le pronostic du malade n’étant pas engagé à très bref délai, on hésite à le priver de toute vie de relation. Il n’en reste pas moins que si on veut on peut.

Le troisième est tout ce que j’ai dit sur l’évaluation de la souffrance, je n’y reviens pas. Sauf pour dire combien il est fréquent de voir des malades, y compris en phase terminale proprement dite, refuser la sédation. Les choses sont beaucoup plus compliquées qu’on ne vous le raconte. Que dois-je faire du malade qui refuse la morphine ? Lui expliquer, le rassurer, plaider, certes ; mais s’il refuse ? Que dois-je faire de ce malade dont je vois bien qu’il a mal, et qui me dit que non ? (Et inversement, tous les bavards qui viennent raconter que l’acharnement thérapeutique est un scandale, outre qu’ils se gardent bien de me dire où ça commence, perdent leur voix quand je leur demande ce que je dois faire du malade qui est demandeur de cet acharnement). La relation à la souffrance est largement énigmatique.

Vous citez des centres de lutte contre le cancer. D’ordinaire je sabre impitoyablement toute référence à des lieux précis, mais je prends le risque de laisser passer ceux-là, d’autant que vous prenez la précaution de faire allusion à des grands centres genre IGR Gustave Roussy ou Institut Curie, en pointe en matière de lutte contre la douleur. Je crois que vous vous trompez. Les centres que vous mentionnez sont des centres de lutte contre le cancer. Ils ont développé d’importants moyens pour prendre en charge la douleur ; j’ai eu l’occasion de connaître certaines des équipes qui y travaillent et d’admirer leur action. Mais cela n’en fait pas des établissements en pointe en matière de lutte contre la douleur ; en outre il se passe dans ces centres ce qui se passe partout : chaque service a sa pratique, sa manière de voir les choses, et dans chaque service chaque médecin. Il s’ensuit des résultats non homogènes. Ajoutons enfin que dans la quasi-totalité des cas les malades qui sont pris en charge sont encore en soins anticancéreux actifs, ce qui fait que la gestion des symptômes n’obéit pas aux mêmes règles.

Je ne choisirai donc pas entre les deux termes de votre alternative. Ce que je sais par contre c’est que ce n’est pas là une question de réglementation.

Ma deuxième réflexion est qu’il est très difficile voire impossible, contrairement à ce que vous affirmez, de se procurer des substances létales efficaces pour un suicide « en douceur ». Dixit plusieurs de vos confrères interviewés lors de cas de suicides assistés ou d’euthanasie médiatisés. Sinon pourquoi des gens iraient ils à l’étranger ?

Prenez le temps, surtout, de me lire jusqu’au bout.

Il est très difficile de se procurer des substances létales efficaces pour un suicide « en douceur », dites-vous. Euh… avez-vous essayé ? Vous êtes-vous une seule fois installée devant votre ordinateur pour faire une recherche un peu logique ? Non, n’est-ce pas ? Pourtant vous seriez surprise. Et je vous parle de produits sûrs, efficaces, sans souffrance, en vente libre, bon marché. Savez-vous quel a été pendant longtemps (j’ignore ce qu’il en est de nos jours) le mode de suicide préféré des Anglais ?

Mais vous précisez plus loin : Dixit plusieurs de vos confrères interviewés lors de cas de suicides assistés ou d’euthanasie médiatisés. Ces propos ne sont donc pas de vous, et effectivement vous n’avez pas vous-même cherché. Mais ce que l’expérience m’a appris c’est que les médecins qui causent dans le poste n’ont pas cherché non plus (j’ai fait mon petit sondage auprès des confrères, c’est étonnant). Et je ne rappelle même pas que bien souvent ce sont soit des porte-parole soit des faux nez de l’ADMD, association dont le fonds de commerce repose sur ce genre d’affirmation ; l’honnêteté intellectuelle, c’est une autre paire de manches.

Alors je sais bien que je simplifie les choses. Ce que je viens de vous dire je l’ai fait juste pour vous faire sentir que la bonne foi ne trouve pas son compte dans ce qu’on vous dit. Je ne perds pas de vue que tout le monde n’est pas sur le net comme un poisson dans l’eau, et que les malades en fin de vie ont peut-être mieux à faire que de chercher la recette du bouillon d’onze heures. Bien sûr. Mais ce qui est en question c’est une loi, n’est-ce pas ? Alors tant pis : j’en ai parlé et reparlé, je vais donc me répéter.

Je serais plus à l’aise si tous les gens qui revendiquent le droit à la mort pour tous et qui ont les moyens de s’organiser me racontaient comment ils ont planifié les choses pour eux-mêmes. Mais interrogez-les : ils n’en ont rien fait. Comme disent les québécois ils ne font rien d’autre que parler à travers leur chapeau. Quand ils se seront pris eux-mêmes au sérieux, ils viendront me parler de ceux qui n’ont pas les mêmes moyens.

Je continue à distinguer, et je n’ai pas fini de le faire, les situations d’euthanasie et celles de suicide assisté.

L’euthanasie concerne des malades en proie à des souffrances insupportables. Ceux-là je les endors, et la question est réglée. J’ajoute que si je me trouvais face à une situation qui échappe à cette technique (ou si je me trouvais au nord du Sahel avec pas de morphine et un flingue chargé) c’est sans hésitation que je procéderais moi-même à l’euthanasie nécessaire.

Le suicide assisté concerne des personnes qui ne veulent pas vivre leur fin de vie. Je les comprends, et je ne suis pas sûr d’ailleurs que la mienne va me passionner. Mais que peut-on faire ?

La loi vise à organiser la vie en société. Par définition elle n’a rien à dire sur ceux qui veulent quitter la société.

La loi vise à rendre service à une population. Pour que ce soit le cas il faut :
- Que le problème posé soit fréquent.
- Qu’elle permette de résoudre le problème dans la plupart des cas.
- Que les inconvénients qu’elle aura soient supportables.

Or rien de tout cela n’est assuré. Même pas la fréquence, puisque l’ADMD nous affirme à la fois que les situations d’euthanasie sont rares et que les euthanasies clandestines sont monnaie courante. Mais ce n’est pas cela qui me préoccupe. Il en ira de cette loi comme de toute loi : si on légalise le suicide assisté on ne manquera pas de créer trois cas :
- Celui de la personne qui devrait bénéficier du suicide assisté et qui pourtant ne le pourra pas.
- Celui de la personne qui devrait bénéficier du suicide assisté et qui le pourra.
- Celui de la personne qui ne devrait pas bénéficier du suicide assisté et qui pourtant le pourra.

La première situation éclate quand tout simplement on essaie d’écrire un texte de loi qui tienne la route (moi je prends n’importe quel projet de loi du moment qu’on me l’écrit ; jusqu’ici tous ceux qui ont essayé de répondre à mes objections ont jeté l’éponge). Par exemple tout le monde veut que le candidat passe un examen psychiatrique. Non seulement cela veut dire que l’exercice de mon droit souverain est soumis au diktat d’un autre, mais je veux bien qu’on m’explique ce qu’on fait de ces déprimés chroniques qui souffrent atrocement et qui résistent à tout ce qu’on peut leur faire.

La troisième correspond à ces patients qui ne sont pas tant que ça demandeurs de mort mais qui vont plonger si on leur déroule le tapis rouge (et je ne parle même pas de ce qui se passe aux Pays-Bas où on réfléchit à l’ouverture de l’euthanasie aux déments). Je ne suis pas sûr qu’il soit très prudent de faire du suicide quelque chose de simple. Et je persiste à penser que les choses doivent rester ce qu’elles sont : mettre fin à ses jours demande un travail ; ce travail n’est pas plus lourd que celui qu’on consent pour changer sa bagnole, essayez, vous verrez. Il appartient à celui qui veut exercer cette liberté de s’organiser, de planifier, d’anticiper. Et de passer à l’acte en temps opportun. Pour tout cela il n’a aucun besoin de moi, on n’a jamais eu besoin des médecins pour mourir. Maintenant, s’il ne met pas ces moyens en œuvre, alors il risque de se retrouver avec des gens moi pour le soigner, et pour le suicide ce sera non.

Et puis il y a les exceptions, même si j’ai du mal à en trouver un exemple. Mais sur ce point c’est encore plus simple : la loi ne peut rien pour les exceptions. C’est ne rien comprendre à ce qu’est une loi que lui demander de s’occuper des exceptions. L’outil qui sert à gérer les exceptions est un outil très méconnu, et largement sous-utilisé : le cerveau.

Bien à vous,

M.C.

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