Vincent Lambert : Enfin

59 | par Michel

Le silence s’est fait autour de Vincent Lambert. On va donc pouvoir en parler un peu plus sainement. Et rappeler quelques évidences.

D’abord le respect.

Respect pour ses parents, pour sa mère surtout : les invectives dont ils auront fait l’objet ont quelque chose d’insupportable, car les bonnes âmes qui yakaïsent oublient que ce sont d’abord des parents en deuil, avec tout ce que cela comporte de souffrance et d’irrationalité. Où est la compassion ? J’observe au reste qu’on ne les entend plus ; ce silence est celui qu’on rencontre quand, lâchant prise dans sa douleur, le proche se rend à l’évidence, relisons Kübler-Ross.

Respect tout autant pour son épouse, qui a été d’une dignité exemplaire. Oh, on peut certes soupçonner qu’elle a besoin de refaire sa vie. Mais il est infâme de la disqualifier à ce titre, alors que c’est précisément une bonne part du problème.

Examinons-le, ce problème. Un principe éthique est sûr : il n’est pas envisageable de prendre une décision sur Pierre au motif que Paul a besoin qu’on en prenne une. On ne peut donc pas arrêter les soins de Vincent Lambert dans le but de permettre à Rachel Lambert de poursuivre sa route. Mais… que fait-on de Rachel ? Doit-on s’en tenir au principe qu’ils ont été mariés pour le meilleur et pour le pire ? Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt.

Ce problème n’a pas de solution. C’est pourquoi il s’agit d’une question éthique : les questions éthiques n’ont jamais de solution ; elles naissent quand, dans une situation donnée, il faut appliquer un principe, mais que si on l’applique on va provoquer un désastre ; force est donc de réfléchir, et de choisir une mauvaise solution, en espérant que ce sera la moins mauvaise. Je ne sais pas quelle solution il fallait choisir, mais je sais qu’on n’en a guère proposé.

Quant à savoir qui, des parents ou de l’épouse, est qualifié pour décider, je suis surpris d’apprendre que la question se pose en droit : j’ai toujours cru que le mariage créait un lien plus fort que tout le reste ; si ce n’est pas clair il est urgent de le préciser, comme on a fait en Belgique. Par contre tous les chrétiens savent que l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair ; la question n’a donc jamais existé.

Je ne comprends pas qu’on ait perdu de vue le point de départ.

On s’est écharpé sur la question de savoir si Vincent Lambert était ou non en fin de vie. Il ne l’était pas, mais ce n’est pas le sujet : les lois Léonetti, mais aussi, plus tôt, la loi Kouchner, ne sont pas limitées aux questions de fin de vie, comme l’a bien rappelé la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt du 25 juin 2015.

Le sujet, c’est l’observation des soignants : ils étaient arrivés à la conclusion que Vincent Lambert refusait cette situation. Le sujet ; le seul, était de savoir si oui ou non le malade souffrait. Et c’est l’avis des soignants.

On peut dire qu’ils se trompaient. Pour ma part je n’aurai pas cette outrecuidance, me souvenant (et la moindre des honnêtetés intellectuelles, des honnêtetés tout court, aurait été de ne pas pontifier à tort et à travers sur un patient qu’on ne connaît pas) que je ne l’ai pas vu. La seule issue acceptable est donc de s’en tenir à ce que pensent ceux qui l’ont en charge.

On peut dire qu’ils outrepassaient leur rôle en présumant de la souffrance du malade. Sauf qu’en disant cela on montre qu’on ne connaît rien aux soins palliatifs. Car il n’est pas possible de les pratiquer si on n’a pas acquis cette compétence très particulière qui est de savoir évaluer la souffrance de l’autre. C’est un métier. Douter de cela c’est douter de la compétence des professionnels. Je suis bien placé pour savoir qu’il faut douter de la compétence des médecins, mais si on le fait, alors le plus sage est de ne pas recourir à eux.

La seule question était de savoir si Vincent Lambert souffrait.

Reste les questions de droit.

Il y a à l’ONU un Comité des Droits des Handicapés. Ce Comité n’a nullement pris position, il a seulement dit que si on voulait qu’il donne son avis il fallait que le sujet soit vivant. Simple truisme. Mais ceux qui brandissent cet argument oublient de se demander une chose : si vraiment on considère que Vincent Lambert n’est pas malade, qu’il est « simplement » handicapé, alors on se demande un peu pourquoi les avocats des parents n’ont pas pensé plus tôt à saisir le Comité en question. Problème de compétence professionnelle, sans doute, je n’ose pas penser qu’ils auraient songé à distiller les recours dans le seul but de faire durer la situation.

La Cour d’Appel de Paris avait ordonné la poursuite des soins. Mais le Tribunal n’a pas à écrire les ordonnances des médecins. Dans le cas d’espèce son rôle se limite à dire si les conditions prévues par les lois Léonetti ont été ou non respectées. C’est ce qu’a dit le Conseil d’État le 24 avril dernier. J’ai dit et répété que je n’aime pas la loi Léonetti I, et encore moins la loi Claeys-Léonetti ; mais mes réticences ne portent pas sur leur aspect procédural, qui me paraît plutôt bon.

Il y a la menace de poursuites au pénal. Le beau recours, dira-t-on, quand Vincent Lambert sera mort. Mais… c’est ainsi que le droit fonctionne : quand je pose un acte, quel qu’il soit, je dois savoir qu’un juge pourra décider que j’ai enfreint le Code Pénal, et c’est ce garde-fou qui rend la vie en société possible. Les parents pourront, s’ils le veulent, porter plainte, et leur plainte sera instruite.

Une solution n’a pas été envisagée, je ne sais pas pourquoi.

- Il n’y avait pas urgence à arrêter l’alimentation de Vincent Lambert.
- Il y avait urgence à traiter sa souffrance.
- Il y avait un doute légitime sur ses volontés (dans le Figaro du 2 juillet, Emmanuel Hirsch écrit : Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette légalisation de la mort donnée ; il a raison, et nous devrons tirer toutes les conséquences de cette dangereuse affaire. Mais quand il ajoute : Jusqu’à ce jour M. Vincent Lambert a témoigné, résolu à vivre dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non-abandon, d’un non-renoncement à son existence. Personne ne peut affirmer que cet acte de résistance est dénué de signification et que, sans être en capacité de l’exprimer, il manifeste ainsi son attachement à être toujours présent, il pousse le bouchon : comme s’il n’avait jamais vu ces malades qui, en toute lucidité, souhaitent une mort qui ne vient pas, ambivalence, sans doute… ; ou à l’inverse ces malades qui luttent pour vivre et n’en sont pas moins fauchés quoi qu’ils fassent ; comme s’il était raisonnable d’écrire que je maîtrise ma mort).

Bref. On pouvait endormir Vincent Lambert et poursuivre son alimentation : contrairement à tout ce qu’on raconte une sédation bien faite n’a aucune influence sur la durée de vie. De cette manière on réglait la question, je le répète, la seule question qui se posait, de sa souffrance, et on éludait la question de sa mort.

On aurait simplement créé une situation absurde.