La tutelle des personnes âgées Inédit. Cet article a été réécrit le 16 janvier 2012

370 | (actualisé le ) par Michel

AVERTISSEMENT

Le texte présenté ici est augmenté d’un post scriptum. Je recommande au lecteur de lire ce dernier très attentivement.

INTRODUCTION

Tous les gériatres sont tous les jours confrontés au problème de la protection judiciaire des personnes âgées. De plus en plus souvent cette protection est rendue nécessaire par les situations de démence. Il faut parfois protéger la personne d’un entourage mal intentionné ou peu attentif aux exigences de la droiture ; il faut plus souvent gérer ses biens à sa place ; mais la situation la plus courante et la plus dramatique est celle de toutes ces vieilles personnes qui ne sont plus en état de vivre chez elles, qu’il faut institutionnaliser, et qui s’y refusent. Rien ne nous autorise à prendre une telle décision qui attente gravement aux droits de la personne, et la seule solution est de solliciter une décision de justice. Dans une telle situation, ce dont nous avons besoin c’est donc clairement d’une mesure de protection de la personne.

Un problème de plus en plus important :

Cette question de la tutelle prend une importance quantitative croissante sous l’influence de deux données au moins :

1°) : Il y a d’abord l’augmentation du nombre de mises sous tutelle : cette augmentation est assez largement reconnue, au point que certains parlementaires s’en sont inquiétés Il n’est pas besoin d’une grande lucidité pour voir se profiler derrière cette inquiétude le désir de limiter le coût de ces mises sous tutelle. On peut se demander quel est le sens de cette tendance ; et a priori on est tenté de retenir trois ordres d’explications :
- Il se peut que le nombre de situations nécessitant une mise sous tutelle ait augmenté. C’est notamment ce qui se produit avec la démence.
- Il se peut que sans avoir augmenté en nombre ces situations soient mieux reconnues.
- Mais il se peut aussi que l’augmentation du nombre de mises sous tutelle ne fasse que refléter la tendance sécuritaire, normalisatrice, de notre civilisation. Il n’est pas indifférent de rappeler que le signalement des situations appelant une mesure de tutelle constitue pour les professionnels une obligation dont la méconnaissance peut leur être reprochée.

2°) : Mais le problème de la tutelle vient aussi interférer avec celui du consentement éclairé, de l’information du patient et de ses droits. C’est là une situation nouvelle, qui vient modifier complètement la pratique de la tutelle. Pendant très longtemps la tutelle ne s’est guère exercée que sur les biens et on ne faisait que se demander ce qu’il en était d’une éventuelle tutelle aux personnes ; ce sont les textes récents qui aboutissent à infléchir les tendances, et on peut dire que la tutelle est désormais une tutelle aux personnes.

Des textes hésitants :

Cela ne s’est pas fait sans mal, comme en témoigne par exemple la loi du 4 mars 2002, qui précise en son article 11 :

Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l’information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5. (...)

Et les choses vont plus loin :

Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance (...), et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin (...). Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas lorsqu’une mesure de tutelle est ordonnée (...).

Tout est donc clair, et pour la loi du 4 mars 2002 la tutelle est une tutelle aux personnes ; simplement, ce serait plus clair si cette même loi ne portait pas d’étranges anomalies. Elle vise par exemple à préciser ce qui arrive au majeur sous tutelle, mais aussi au mineur. Du coup elle ne peut pas éluder le fait que certaines difficultés, notamment la contraception et l’avortement, sont l’apanage du mineur, ce qui fait qu’on trouve :

Par dérogation à l’article 371-2 du code civil, le médecin peut se dispenser d’obtenir le consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas où cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé.

Outre que, tel quel, ce passage donne à l’enfant le droit à un secret vis-à-vis de ses parents dont on peine à se représenter comment il pourrait être mis en œuvre, il suit de ce texte que le mineur jouit d’un droit qui n’est pas accordé au majeur sous tutelle. On ne saisit pas comment on pourrait le justifier. Ou encore, on lit :

Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables.

Cela signifie que le médecin peut passer outre l’avis du tuteur, qui n’a plus dès lors qu’un droit à l’information. Il aurait été plus prudent de préciser la procédure à suivre en cas de désaccord. Mais il est vrai que le texte de la loi pèche par une certaine naïveté :

Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.

On se demande qui et comment définira les limites de ce « tout » qu’il s’agit de mettre en œuvre. Mais laissons cela : le but ici n’est pas d’étudier la loi sur les droits des malades ; on n’en parle que pour illustrer ce qui se passe lorsqu’on se figure régler un problème en se contentant d’emplâtres au lieu de procéder à une réflexion sur le fond.

Ainsi le flou naissait des textes eux-mêmes, et notamment des circonstances historiques de leur production. Ce flou est il supprimé par la nouvelle loi ? On est tenté de le croire ; reste à savoir comment sur le long terme elle sera appliquée.

LA LOI DU 5 MARS 2007

La nouvelle loi sur la protection des personnes vulnérables apporte des innovations importantes, même si sur l’architecture générale elle reprend assez largement l’ancien texte. Nous allons nous borner à relever les données les plus intéressantes.

Les mesures de tutelle font partie du Code Civil. C’est donc à une modification de certains articles que la loi s’est livrée. Les références sont celles des articles du Code Civil.

La place de la famille :

Art. 428. - La mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l’intéressé.

On sait que Les époux se doivent mutuellement assistance.( article 212 du Code Civil). Ce devoir d’assistance implique probablement le droit (et le devoir) pour le conjoint d’un sujet dément de prendre certaines dispositions à son endroit. Comment va se passer le partage entre les décisions que le conjoint peut légitimement prendre et celles qui constitueraient un abus ? C’est à voir, et c’est l’un des points sur lesquels la pratique des juges sera intéressante à observer. En tout cas il est important de noter que l’esprit du nouveau régime de tutelle semble d’impliquer l’entourage du mieux possible.

C’est en ce sens qu’il faut sans doute lire :

Art. 399. -Le juge des tutelles désigne les membres du conseil de famille pour la durée de la tutelle.

Le conseil de famille est une instance qui n’est pas nouvelle, mais il semble que la loi lui donne un rôle important ; en particulier sa constitution semble systématique. Cela signifie que l’exercice de la tutelle ne se passe plus, comme on le constatait souvent, entre le tuteur et le juge, et que la famille est impliquée de manière forte. Elle l’était déjà, à telle enseigne que dans l’ancienne loi il était prévu que lors de la prise de la mesure le juge recherche d’abord dans la famille si une personne était en mesure d’exercer la tutelle et que celle-ci, si elle était désignée, ne pouvait pas se dérober (c’est le même type d’obligation que pour le juré d’assises) ; ce n’est qu’à défaut qu’un tuteur extérieur pouvait être désigné. Et la nouvelle loi précise même : (La tutelle) est un devoir des familles et de la collectivité publique.

Champ de la protection :

Art. 425. -S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions.

Voilà qui est important : non seulement cela clarifie enfin la question de la tutelle à la personne, mais encore il est désormais possible de proposer une mesure dissociée ; théoriquement cela permettrait par exemple de résoudre le problème du domicile de la personne âgée sans pour autant la priver de la possibilité de gérer se biens. C’est ce que précise notamment l’article suivant :

Art. 426. - Le logement de la personne protégée et les meubles dont il est garni, qu’il s’agisse d’une résidence principale ou secondaire, sont conservés à la disposition de celle-ci aussi longtemps qu’il est possible.

Voilà qui assurément n’engage à rien ; d’un autre côté on voit bien que l’une des problématiques visées par le texte est bien celle du lieu de résidence de la personne à protéger. On note aussi :

Art 427. - Dans tous les cas, les souvenirs, les objets à caractère personnel, ceux indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades sont gardés à la disposition de l’intéressé, le cas échéant par les soins de l’établissement dans lequel celui-ci est hébergé.

Qui peut demander une tutelle ?

Art. 430. - La demande d’ouverture de la mesure peut être présentée au juge par la personne qu’il y a lieu de protéger ou, selon le cas, par son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ou par un parent ou un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables, ou la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique.

« Elle peut être également présentée par le procureur de la République soit d’office, soit à la demande d’un tiers.

Ici les choses ne changent guère par rapport à l’ancienne loi ; en particulier les professionnels de santé ne peuvent demander une mesure de tutelle. Ce qu’ils peuvent faire c’est signaler une situation au Procureur de la République.

Les trois mesures :

Art. 433. - Le juge peut placer sous sauvegarde de justice la personne qui, pour l’une des causes prévues à l’article 425, a besoin d’une protection juridique temporaire ou d’être représentée pour l’accomplissement de certains actes déterminés.

Cette mesure peut aussi être prononcée par le juge, saisi d’une procédure de curatelle ou de tutelle, pour la durée de l’instance.

Art. 435. - La personne placée sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits. Toutefois, elle ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné en application de l’article 437.

Les actes qu’elle a passés et les engagements qu’elle a contractés pendant la durée de la mesure peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès alors même qu’ils pourraient être annulés en vertu de l’article 414-1. Les tribunaux prennent notamment en considération l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté.

L’intérêt de la mesure de sauvegarde est sa rapidité et sa simplicité. Elle permet de limiter considérablement les dégâts qui pourraient résulter d’acte inconsidérés de la part du patient.

Ceux qui ont qualité pour demander l’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle sont tenus d’accomplir les actes conservatoires indispensables à la préservation du patrimoine de la personne protégée dès lors qu’ils ont connaissance tant de leur urgence que de l’ouverture de la mesure de sauvegarde. Les mêmes dispositions sont applicables à la personne ou à l’établissement qui héberge la personne placée sous sauvegarde.

Mais la contrepartie est qu’ils doivent veiller...

« Art. 437. - Le juge peut désigner un mandataire spécial, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 445 et 448 à 451, à l’effet d’accomplir un ou plusieurs actes déterminés, même de disposition, rendus nécessaires par la gestion du patrimoine de la personne protégée.

Cette disposition permet par exemple de faire fonctionner une mesure de sauvegarde dans le cas d’un patient trop isolé.

Art. 440. - La personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin, pour l’une des causes prévues à l’article 425, d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle.

La curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.

La personne qui, pour l’une des causes prévues à l’article 425, doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.

La tutelle n’est prononcée que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante.

Ceci ne change guère.

Les droits de la personne protégée :

Art. 457-1. - La personne protégée reçoit de la personne chargée de sa protection, selon des modalités adaptées à son état et sans préjudice des informations que les tiers sont tenus de lui dispenser en vertu de la loi, toutes informations sur sa situation personnelle, les actes concernés, leur utilité, leur degré d’urgence, leurs effets et les conséquences d’un refus de sa part.

Art. 458. - Sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l’accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée.

Sont réputés strictement personnels la déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance, les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d’un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant.

Art. 459. - Hors les cas prévus à l’article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet.

Voilà qui est bel et bon, mais il faudra ici également que la pratique montre comment le juges vont faire la part des choses...

LE MANDAT DE PROTECTION FUTURE

Il s’agit d’une procédure par laquelle toute personne peut organiser sa tutelle éventuelle.

Art. 477. - Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l’une des causes prévues à l’article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts.

C’est évidemment une proposition très intéressante. Mais il faudra voir en détail comment les juges vont appliquer le texte : d’un côté le sujet est invité à organiser sa propre tutelle, de l’autre il faudra bien que, le moment venu, le juge en décide, et il n’est pas mentionné qu’il doive suivre les volontés exprimées dans un mandat de protection future ; cela n’est pas surprenant : C’est la même problématique que pour les directives anticipées, qu’on ne saurait appliquer sans les avoir confrontées à la situation du moment.

CONCLUSION

La loi de 2007 apporte des éléments qui peuvent être très positifs. Mais toute la question est de savoir comment elle sera réellement appliquée.

L’inquiétude vient du fait qu’en plusieurs endroits elle juxtapose des données imposées par le respect des droits de la personne et d’autres imposées par la nécessité de la protéger, éventuellement d’elle-même, sans avancer de proposition pour résoudre les éventuels conflits. Est-il possible de faire autrement ? Peut-être pas. Mais alors tout va dépendre de la jurisprudence...

P.-S.

La loi réformant la tutelle a été promulguée en 2007. C’est l’époque où j’ai quitté l’exercice gériatrique. Autant dire que je n’ai pas eu de pratique directe de ce texte.

Or si le lecteur a la curiosité de parcourir les messages du forum annexé à cet article, il ne manquera pas d’être frappé de la récurrence de certaines plaintes.

Laissons de côté celles qui se rapportent à un mauvais comportement des tuteurs, car on peut difficilement en tirer des conclusions : on peut certainement trouver des tuteurs incompétents ou malhonnêtes, mais dans l’éccrasante majorité des cas ils resmplissent leur fonction avec conscience et probité.

Non : le problème est ailleurs ; il est dans ces récits où les proches de la personne protégée semblent avoir été évincés de la procédure, et tenus à distance aussi bien par le Juge que par le tuteur.

Quelle idée peut-on se faire de cet état de choses ? Il me semble possible de formuler plusieurs hypothèses.
- Il se peut qu’il n’y ait là que des choses banales ; par exemple, les juges sont souvent surchargés et difficilement accessibles.
- Il se peut qu’il ne s’agisse que d’une illusion d’optique : les personnes qui interviennent sur ce type de forum sont très majoritairement celles qui ont lieu de se plaindre ; on méconnaît ainsi que presque toujours la tutelle se passe bien.
- Il se peut que les choses aient une raison : dans telle situation le juge a estimé qu’il valait mieux laisser les proches en dehors de la tutelle ; le manque de diplomatie fait le reste. Il se peut aussi que certains intervenants ne soient pas totalement réalistes (ou pas totalement sincères) sur la réalité de la situation.
- Il se peut que toutes ces situations correspondent à d’authentiques dysfonctionnements.
- Mais il se peut aussi que tout cela soit normal. Et cela me conduit à manifester une grande prudence vis-à-vis de mon propre texte.

Car la loi me semble pourtant très claire. Notamment quand elle dispose que la mesure de tutelle ne peut être prise que quand la famille ne peut gérer la situation ; ou quand elle indique que le tuteur doit d’abord être recherché dans la famille.

Cela se produit avec les lois : il y a des exemples de lois totalement dénaturées par des décrets d’application, ou même par de simples directives de mise en oeuvre. Mais il est également possible que, contrairement à ce que je crois, je n’aie pas compris toutes les subtilités du texte.

J’entreprends donc de rechercher quelques avis juridiques, que je publierai.