Quand les aidants refusent d’être aidés

16 | par Michel

Pourquoi les aidants refusent-ils d’être aidés ? Il n’est pas certain que le médecin ait quelque chose d’important à dire sur un tel sujet. A vrai dire ce n’est probablement pas lui qu’il faudrait convoquer, ni même le psychologue ; on aimerait bien plutôt entendre l’ethnologue : qu’est-ce qui se dit, dans le processus qui conduit les enfants à se faire, de manière totalement inédite, les parents de leurs parents, de la conception des rapports familiaux ?

Cela dit il y a au moins quatre pistes qui pourraient être explorées.

LA MÉCONNAISSANCE :

Il est probable qu’une des causes majeures du refus d’aide se trouve tout simplement là : les proches sous-estiment la situation, ou tout au moins sa gravité. Ceci se produit sous l’influence de plusieurs mécanismes.

Le plus élémentaire sans doute est tout simplement que l’aidant manque de repères ; le plus souvent c’est la première fois qu’il a affaire à cette situation, et il ne lui est pas si simple de jauger si l’investissement qu’il consent est important, démesuré, ou simplement dans la norme (à supposer qu’il y en ait une). Il manque de repères également pour évaluer le degré de dégradation de son proche, avec pour l’observateur ce sentiment étrange que la famille tend à sous-estimer les possibilités physiques du patient et à surestimer ses capacités intellectuelles.

Si on considère le cas particulier mais tout de même très courant du déclin cognitif, la méconnaissance est le plus souvent massive. Méconnaissance largement partagée, d’ailleurs, par de nombreux professionnels : c’est une banalité que de voir arriver aux Urgences des sujets dont les capacités intellectuelles sont totalement effondrées, et qui, pourtant, vivaient jusque là seuls à leur domicile. En réalité il n’y a pas lieu de s’en étonner : à bien considérer les choses la pensée n’est pas, dans la vie courante, une fonction très utile, et nous accomplissons l’essentiel de nos activités quotidiennes grâce à des automatismes dans lesquels la cognition n’est guère impliquée ; et chez le dément ces automatismes fonctionnent très bien ; c’est quand il y a une crise, un événement imprévu, quand il lui faut mobiliser toutes ses capacités de réflexion, que les dégâts apparaissent au grand jour. Voilà pourquoi la maladie passe si longtemps inaperçue.

La difficulté se redouble du fait que le malade s’évertue à dissimuler son trouble, et qu’il y réussit très bien. On considère habituellement que le dément ignore sa maladie, au point que cette anosognosie est considérée comme un critère diagnostique. On trouverait pourtant difficilement une conception plus inepte : la réalité est que le dément sait parfaitement qu’il est malade ; il le sait avant tout le monde, il le sait mieux que tout le monde (comme on le voit au soulagement qu’il éprouve quand on lui annonce le diagnostic, lui confirmant par là qu’il ne perd pas la tête au point de ne pas savoir qu’il la perd) ; ce qui est vrai c’est qu’il ne sait pas évaluer à quel point il est malade, et qu’il finit par ne plus savoir ce qu’est sa maladie ; mais jusqu’au bout l’un des critères les plus fiables de la démence est précisément d’observer les efforts que fait le malade pour masquer ses lacunes, et quand il ne sait plus quelles apparences il lui faut sauver il ne s’en souvient pas moins qu’il faut les sauver.

Le déni est un mécanisme complexe, et qui procède de plusieurs causes dont ce n’est pas le lieu ici de faire l’énumération. Rappelons simplement que le déni est une composante essentielle de tout deuil débutant, et que s’il y a pour l’aidant un deuil à faire, c’est bien celui de son parent idéal ou idéalisé qu’on ne peut sans détresse voir entrer ainsi en dépendance. Et c’est de manière presque naturelle que le proche s’évertue à ne pas voir la réalité, prétendant, au besoin contre l’évidence, que le malade n’est pas si gravement atteint, et que s’il perd un peu la mémoire il a encore toute sa tête. Cette sous-estimation de la gravité de la situation n’épargne d’ailleurs pas les professionnels, comme on le voit quand il s’agit de faire l’évaluation de la dépendance du malade, et qu’au lieu de se trouver face à des techniciens préoccupés de faire une étude objective on assiste à un concours d’indulgence, comme s’il s’agissait de repêcher un candidat au permis de conduire. Mais du coup, comme l’aidant s’ingénie à mettre en scène que le malade n’est pas malade, ou pas si malade que ça, il s’ensuit mécaniquement au moins une conséquence : si lui-même n’est pas capable de prendre en charge une situation qui est si peu grave, c’est qu’il n’est vraiment pas bon à grand-chose. Le déni fait ainsi le lit de la culpabilité ; mais au fait la culpabilité aussi est l’un des ressorts du deuil.

Tous ces mécanismes concourent à faire que l’aidant minimise la lourdeur de la situation. En somme il se comporte précisément comme le malade ; étrange collusion, étrange, souvent, mimétisme de la démence, qui s’observe en bien d’autres occasions.

(Naturellement nous ne parlons pas ici des cas, au moins aussi nombreux, où l’entourage surestime la dépendance de son proche : il est ici question de se demander pourquoi les aidants refusent d’être aidés).

LA PEUR :

On ne fait pas assez attention au rôle que joue la peur dans les relations entre aidants et professionnels. Notamment on occulte largement sa place chez les soignants.

Le médecin, en particulier, y est très exposé, et de plusieurs manières. Non seulement parce qu’il a, le plus souvent, peur de la mort ; il n’a pas étudié la médecine pour regarder la mort mais pour lui tourner le dos, et il ne peut parvenir à la considérer pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une collègue de travail certes un peu revêche mais qui remplit plutôt bien son office quand on ne s’en mêle pas hors de propos, qu’au prix d’une véritable conversion ; peu y parviennent. Mais le médecin a surtout, même s’il dispose de nombreux artifices pour le masquer, peur du regard des malades, et plus encore des proches. Timidité fort répandue dans le métier. Crainte toujours obsédante de l’erreur, de l’imprécision. Mais aussi crainte d’exposer sa si fréquente impuissance, surtout en gériatrie, devant ces évolutions incompréhensibles, dans lesquelles la nature semble se jouer de lui ; crainte de ne pas pouvoir rendre compte de ce qui s’est passé ; crainte d’être victime des apparences, c’est si fréquent. Il y a de nombreuses et excellentes raisons pour lesquelles les médecins exigent que les proches n’assistent pas à l’examen du malade ; mais il y a aussi le fait que le plus souvent il n’aime pas qu’on le regarde travailler.

Cette peur, cette timidité, ce malaise se retrouvent aisément chez tous les professionnels de santé. Les équipes soignantes y sont même davantage exposées dans la mesure où elles ne bénéficient pas de la protection qu’offre encore le médecin. C’est ainsi par exemple qu’il est très difficile à une aide-soignante de faire la toilette d’un patient en présence d’un de ses proches, et ce n’est pas la pudeur qui est ici le plus en cause.

Toujours est-il que ceux-ci, il n’est pas difficile de l’observer, tendent à utiliser les mécanismes de défense classiques contre la peur, comme la logique de territoire ou le repli derrière le savoir. La logique de territoire se met en œuvre de multiples manières, mais notamment par cette liste interminable de réglementations et d’interdits qui prennent prétexte, par exemple, des nécessités de l’hygiène ou de la confidentialité d’une manière qui pourtant ne devrait tromper personne. Quant au refuge du savoir, c’est ce qui permet de dénier celui de la famille, même dans des domaines où, pourtant, la formation professionnelle n’a pas une place immense ; c’est ainsi qu’on assiste par exemple à de curieuses discussions autour de l’appétit de la vieille personne, discussions dans lesquelles les soignants tentent de garder la main en décidant qu’ « on va mettre en place une surveillance alimentaire », ce qui d’une part est une bonne manière de signifier aux proches qu’ils ne sont même pas compétents pour juger si leur parent mange ou non, et d’autre part ne manque pas de saveur si on considère avec quel manque de rigueur cette soi-disant surveillance alimentaire est le plus souvent réalisée.

Si nous insistons ici sur cette peur, c’est parce qu’on ferait bien de se demander si elle n’est pas à la base du mécanisme qui rend souvent si difficiles les relations entre les proches et les soignants. Les proches ont déjà de nombreuses raisons d’avoir peur : peur pour leur parent, bien sûr ; mais aussi peur de la maladie, peur de ce monde étrange et écrasant ; mais surtout sans doute peur induite par celle des professionnels ; mimétisme là encore.

La suite est au fond aussi classique que prévisible : la peur réciproque engendre la méfiance et la méfiance l’agressivité. Il suffit pour le comprendre de se demander pourquoi dans la maison de retraite les familles sont si revendicatives devant ce qu’elles croient constater des manquements à l’hygiène ou aux détails de la vie quotidienne. Les soignants vivent très mal ces critiques, souvent d’ailleurs injustes, qui portent sur des peccadilles alors qu’ils mettent tant d’énergie à assumer les tâches les plus importantes. Ils le vivraient sans doute mieux s’ils se rendaient compte que les proches, s’étant vus refuser systématiquement toute compétence en matière de prise en charge, ne peuvent que se réfugier sur des questions où, cette fois, on ne peut prétendre qu’ils n’ont pas qualité pour en parler : la soupe est froide et la chambre n’est pas rangée. D’autant que c’est encore là une manière de gérer leur culpabilité : certes ils ont abandonné leur parent en maison de retraite, mais même là il reste des choses qu’ils connaissent mieux que les soignants.

Ce contexte de peur réciproque vaut autant à domicile qu’en institution ; il n’est certainement pas pour rien dans la réticence des aidants à se faire aider.

LE PRÉ CARRÉ :

Dans un grand nombre de situations le domicile de la vieille personne devient une sorte de bastion dans lequel n’entre pas qui veut. On ne saurait s’en étonner, notamment parce que les deux mécanismes qu’on vient de décrire jouent à plein ; par exemple la logique de territoire par laquelle soignants ont tendance à se défendre de leur peur va se trouver utilisée de la même manière par les aidants. Dans une large mesure le plan de soins vise à forcer la porte du territoire en déniant à l’entourage la compétence nécessaire pour dire de quoi il a besoin : l’évaluation de la dépendance est affaire de professionnels, et la détermination des outils à mettre en œuvre ne peut qu’en découler directement. Inversement émerge parfois le désir de ne pas transformer le lieu de vie du malade en chambre d’hôpital et de limiter autant que possible l’intrusion de la technique (le statut des aides techniques porte sa part d’ambiguïté, leur rôle étant bien souvent d’aider à la déculpabilisation en permettant de mettre en avant qu’on n’a pas rechigné à se procurer ce qu’il y a de mieux).

Mais il n’y a pas que cette logique de territoire : le comportement des aidants est fréquemment marqué par un repli sur soi qui procède d’autres mécanismes. L’un de ces mécanismes est tout simplement la honte. Il n’est sans doute guère utile de s’y étendre, on sait bien que, contre toute logique, les maladies liées au vieillissement, et particulièrement la démence, sont souvent perçues comme des maladies plus ou moins honteuses qu’il faut cacher. Un autre est l’héroïsme, qui est pour le proche une autre manière de gérer son deuil et sa culpabilité en décidant en somme qu’il mourra à la tâche, accompagnant ainsi symboliquement la vieille personne dans sa mort symbolique. On fera bien de ne pas ignorer un troisième mécanisme : celui du pouvoir. Car les choses sont ce qu’elles sont, et quand un enfant assume la charge de son parent il ne manque pas de prendre sur lui un ascendant : comme on l’a dit en introduction cela ressemble au projet inouï de devenir le parent de son propre parent. Il n’est sans doute pas nécessaire de s’étendre ici sur les implications psychologiques de cette situation hors normes. Indiquons simplement que dans une telle situation où aucun repère n’existe vraiment, on voie resurgir tout le non-dit et le non-résolu des histoires familiales, tous les enfants ont des comptes, au besoin dérisoires, au besoin symboliques, à régler avec leurs parents, et la prise du pouvoir sur le parent est évidemment l’occasion, inconsciente le plus souvent, d’y procéder. Cela peut aller jusqu’à la maltraitance, mais ce n’est pas nécessaire : il suffit que naissent de là quelques zones d’ombre, quelques malaises, quelques silences qui conduisent l’aidant à flairer qu’il vaut mieux que, même peu sale, ce linge-là reste lavé en famille.

TOUT FAUX :

Mais il se peut que ce soit le projet même d’aider les aidants qui soit la source essentielle du refus. Car s’agit-il vraiment d’aider les aidants ?

On l’a dit : quand le professionnel envisage d’aider un aidant, la première idée qui lui vient est de faire une évaluation de la situation et de concevoir un plan d’aide. Sage décision, si on considère notamment qu’il faut garantir le bon usage de la ressource. Reste qu’il y a un écart entre un projet dans lequel le professionnel détermine quels moyens il va pouvoir mettre à la disposition de l’aidant et un autre dans lequel il commencerait par demander à l’aidant en quoi il peut lui être utile. Dans l’idée même d’aider les aidants se glisse celle que l’aidant se trouve dans une sorte de situation d’infériorité.

Cette conception des relations en termes d’infériorité est structurante dans le monde de la santé. Qu’on le veuille ou non, qu’on le reconnaisse ou non il s’agit d’un système pyramidal dans lequel le médecin trône quelque part, et dans lequel une infirmière est un médecin en moins compétent et une aide-soignante une infirmière qui n’a pas réussi. Cela ne se voit sans doute nulle part mieux que dans les efforts que font les autres soignants pour faire reconnaître leur spécificité : il y avait quelque chose de pathétique dans les mouvements infirmiers des années 90, où il était question de créer un ordre professionnel et de relever le niveau universitaire de la formation, comme si c’était en ressemblant aux médecins qu’on allait s’en démarquer ; de même, et plus gravement sans doute, on a promu les concepts de rôle propre et de diagnostic infirmier, pour désigner ces actions que l’infirmière peut mener de son propre chef, mais là encore on l’a fait sur le modèle de ce que font les médecins ; raison pour laquelle ces concepts restent largement vides : le diagnostic infirmier se réduit à des points que, tout de même, l’infirmière est capable de savoir aussi bien qu’un médecin, alors que l’évidence est qu’il y a un certain nombre de choses que l’infirmière sait parce qu’elle n’est pas médecin. De même il y a un rôle propre aide-soignant et un diagnostic aide-soignant ; mais cela reste à inventorier.

Il ne faut donc pas s’étonner que dans un univers aussi aberrant le réflexe soit d’inclure les familles dans leur organisation hiérarchique, et bien entendu de les inclure à la base, il est toujours utile d’avoir quelqu’un au-dessous de soi. Ce n’est qu’un réflexe, bien sûr, et de plus en plus d’équipes en ont pris conscience et s’emploient à corriger les choses. Reste que bien souvent voici donc les proches en position, au pire de gêneurs, au mieux de supplétifs. Et de là vient le projet, plus ou moins conscient, plus ou moins implicite, de l’enrôler dans un plan qu’il ne contrôle que bien partiellement.

Il y a ainsi chez le soignant une propension à assimiler les proches à une sorte de soignants ; on se propose même de les former, voire de les professionnaliser ; il le faut, et c’est même un des moyens les plus puissants dont on dispose pour leur rendre service. A condition de ne pas perdre de vue les conséquences, pas toujours souhaitables de cette position. A condition également de se souvenir que cette volonté de les assimiler tire au moins partiellement son origine des ambiguïtés mêmes du statut de soignant.

Car le professionnel de santé est par nature un technicien formé et compétent. Le médecin (mais on en dirait autant de l’infirmière) se voit conférer par la société un statut particulier, dans lequel il obtient l’exclusivité d’un certain nombre d’actes, en contrepartie d’une formation et d’un engagement de conformité en termes de réalisation de ces actes. Ce qu’on est en droit d’attendre du médecin, c’est une compétence technique, c’est pour cela qu’on le paie.

Et voici qu’on lui demande d’être humain. C’est assurément une bonne chose, et l’une de mes grandes fiertés est d’avoir été considéré comme « un médecin très humain ». Mais on n’a pas institué le médecin comme expert en humanité, et sur ce chapitre le boulanger du coin de la rue lui en remontrerait aisément ; mais ce qui fait que le boulanger est boulanger c’est qu’il possède une technique ; il n’en va pas autrement du médecin. L’humanité est pour le médecin une vertu tout à la fois essentielle et par-dessus le marché.

Et les choses sont pires encore pour les autres membres de l’équipe soignante, à qui on demande spécifiquement de s’impliquer dans la relation au malade. Il suffit d’avoir essayé pour comprendre que la « bientraitance » ne se résume pas à la mise en œuvre de techniques plus ou moins sophistiquées mais nécessite, même si on prétend l’éviter en maintenant les principes de distance thérapeutique et de professionnalisme, une bonne part de don de soi. Contradiction radicale : on avait cru comprendre que le statut du salarié visait précisément à le protéger en lui garantissant que, hors son temps de travail, le patron n’avait pas le droit de lui demander quoi que ce soit, et notamment rien qui touche à son corps ou à son esprit ; il est indispensable que les soignants participent à un groupe de parole, le problème est qu’on ne peut en aucun cas le leur demander.

Du coup il n’y a pas une si grande différence entre la position des professionnels et celle des proches : contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, le proche est appelé à devenir un peu professionnel, et le professionnel est appelé à devenir un peu un proche. Et il y a tout lieu de prévoir que cette tendance ira s’accentuant, car l’explosion des coûts liés à la dépendance (il semble que la mise en place du cinquième risque doive attendre encore un peu) ne permet pas de prévoir une augmentation sensible des effectifs professionnels ; ce sont donc les proches qui seront mis à contribution, et cela non point financièrement mais physiquement.
Mais peut-être y a-t-il là une voie.

Car si les professionnels veulent être efficaces auprès des aidants, la première chose qu’ils doivent faire est de prendre conscience des mécanismes qui viennent d’être décrits. Ils doivent par exemple travailler sur leurs peurs, et accepter d’abandonner leurs attitudes défensives ; ce qui impliquera qu’ils acceptent provisoirement de s’exposer à prendre des coups. Ils doivent éroder leur conception hiérarchisée de l’organisation des soins : aucune équipe ne peut fonctionner correctement si la compétence diagnostique des aides-soignantes n’est pas reconnue, et un gériatre qui ne sait pas faire une toilette n’a pas sa place dans ce métier. C’est par ce travail qu’ils arriveront à se rendre disponibles pour comprendre comment ils peuvent être utiles aux aidants.

Et il y a plus.

Car la seule justification du médecin (ne parlons que de lui, mais la même chose vaut pour tout professionnel) est d’être un homme de savoir. Or le savoir n’est rien d’autre qu’une accumulation de statistiques : ce que nous savons nous le savons pour l’avoir beaucoup observé, ce sont les statistiques qui nous enseignent que lorsqu’un homme tousse et a de la fièvre c’est qu’il a une infection du poumon. Il n’est de savoir que du général. Ce dont le médecin parle, c’est du général.

Et voici qu’on lui demande de s’occuper de cet autre humain en particulier.

Et Dieu merci c’est possible, et de plus en plus (?) le médecin le fait ; autre critère de son humanité. N’oublions pas trop vite que, tout comme la vertu d’humanité lui est tout à la fois la qualité la plus précieuse et celle qui le définit le moins, ainsi le projet de voir en son malade cet humain particulier est radicalement contradictoire avec le fond de sa compétence qui est, et n’est que, connaissance du général.

C’est pourquoi parmi les conditions nécessaires pour que les aidants acceptent d’être aidés, il y a peut-être cette conversion du regard et de l’esprit qui permettrait au professionnel de s’approprier cette formule qui m’a beaucoup servi en soins palliatifs :

Madame, je n’ai jamais perdu ma mère ; et si je l’avais perdue, ce ne serait pas la vôtre. C’est pourquoi vous savez sur cette situation des choses que je ne sais pas.

Mais j’ai vu tant de filles perdre leur mère que je sais sur cette situation des choses que vous ne savez pas.

Ce qui revient à dire que s’il y a indiscutablement des actions envisager pour aider les aidants à accepter d’être aidés, il y a sans doute au moins autant à faire pour aider les professionnels à concevoir autrement leur rôle d’offreurs d’aide.